Comment s'y mettre ?
Souvent, dans la représentation des médecins, le profil du patient dépendant à l’alcool est trop sévère. Sa prise en charge est considérée comme lourde, chronophage et pourtant source d’intense reconnaissance pour les médecins qui s’y attellent. Depuis 2015, de nouvelles stratégies thérapeutiques, intégrant la réduction de la consommation, sont adaptées à la médecine générale. Des solutions efficaces existent et il serait dommage de s’en priver alors que plus de 80 % des patients (1) dépendants à l’alcool ne sont pas pris en charge. Quelles sont les raisons qui ont finalement poussé des médecins généralistes à « s’y mettre » ? (1) Source : recommandations de la Société Française d’Alcoologie (SFA)
Le manque de formation et de temps n’incite pas à s’y mettre
L’enseignement en alcoologie est loin d’être privilégié dans le cadre des études médicales et ne permet pas aux médecins généralistes d’être armés face au patient alcoolique, s’ils ne suivent pas eux-mêmes une formation spécifique. Par ailleurs, la consultation d’un patient dépendant à l’alcool peut être compliquée selon le stade de prise en charge de la maladie, ce qui n’est pas fait pour inciter les médecins à s’intéresser à ce type de patients.
La prise de conscience de ne pas savoir s’y prendre
La prise de conscience de ne pas savoir s’y prendre peut amener certains jeunes médecins à s’intéresser à la prise en charge du patient dépendant à l’alcool. Pour d’autres médecins ayant plus de métier, c’est une meilleure connaissance de leurs patients au fil du temps, ou parfois même un drame de l’alcool dans leur entourage proche, qui les a amenés à une prise de conscience.
"J’ai eu une prise de conscience un peu tardive par rapport aux patients ayant un problème avec l’alcool, jusqu’à ce que deux personnes qui me sont proches soient devenues alcooliques."
"C’est après quelques années d’exercice qu’on s’investit davantage avec les patients ayant un problème avec l’alcool. C’est en ce sens que je m’y suis mise, car je connaissais mieux ces patients et j’étais plus stimulée pour les aider ou m’investir dans ce type de prise en charge."
Ceux qui s’y sont déjà mis
C’est la situation du cabinet dans des zones « propices » à l’alcoolisation qui n’a pas laissé le choix à certains médecins généralistes ayant obligatoirement des patients dépendants à l’alcool dans leur patientèle.
"Je m’y suis mis essentiellement pour des raisons géographiques, mon cabinet étant situé dans un quartier central avec pléthore de bars et sur une zone de passage de bus véhiculant plus de 2 000 patients suivis en hôpital de jour et qui s’arrêtent dans ce quartier pour fréquenter les bars. J’ai donc obligatoirement, dans ma patientèle, des personnes qui ont un problème avec l’alcool et je m’y suis mis depuis une vingtaine d’années."
"C’est par nécessité que je me suis mise à la prise en charge des patients ayant un problème avec l’alcool, car ils sont nombreux et le CSAPA* n’est pas toujours une réponse pour tous - sachant que certains patients refusent d’être suivis dans cette structure. Le médecin généraliste a un rôle important dans la prise en charge globale de ces patients, car il peut plus facilement les dépister."
"Je me suis impliquée dans la prise en charge de ces patients, car j’ai rencontré des cas dans ma patientèle, avec des histoires souvent dramatiques. Soit c’était le patient, soit c’était l’entourage qui me demandait de l’aide : je m’y suis mise un peu de force, sachant que ce ne sont pas les consultations que j’apprécie le plus, car il est souvent difficile d’obtenir l’intérêt et l’adhésion du patient."
* Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie
Un intérêt marqué pour l’addictologie
Pour les médecins généralistes particulièrement intéressés par la prise en charge des patients dépendants à l’alcool, cet intérêt relève notamment d’une motivation humaniste, car ils estiment que leur métier est d’être à la disposition des personnes en difficulté par rapport aux produits addictifs.
"Dans un premier temps, je me suis surtout occupé de toxicomanes. Je trouvais que cette façon de se mettre à la disposition de personnes en difficulté par rapport à ces produits addictifs faisait partie de mon métier, alors que ces gens sont souvent refusés par de nombreux médecins. Puis, je me suis dit que le serment d’Hippocrate, c’est soigner tout le monde sans jugement. C’est ainsi que je m’y suis mis pour l’alcool, bien que j’avais l’impression que c’était perdu d’avance : la prise en charge des patients alcooliques ne m’attirait pas tellement, ayant une mauvaise expérience dans ma région où l’alcoolisme est très courant."
"J’estime que le médecin généraliste traite les patients qui ont un problème médical, a fortiori ceux qui ont des signes cliniques faisant suspecter un problème d’alcool. L’alcool est un fléau qui martyrise ceux qui en sont addicts, ainsi que l’entourage, et fait courir de grands risques à la population. C’est pourquoi, ça me consterne de voir que certains confrères ne veulent pas prendre en charge ces patients ayant des problèmes d’alcool."
Dr S.R. Dr Sophie Rougeaux, Dr N.A. Dr Nathalie Azzolin, Dr G.F. Dr Gaëtan Fremond, Dr J.-J.L. Dr Jean-Jérôme Le Coq, Dr J.-M.M. Dr Jean-Michel Marchadier, Dr J.-H.S. Dr Jacques-Henri Soulère, Dr L.M. Dr Latifa Miqyas